Génocide Rwandais – Vivre avec l’irréparable

Le 7 avril marquait le début de 100 jours de commémoration du 20ème anniversaire du génocide rwandais contre les Tutsis. J’ai passé deux jours à une conférence sur « Vivre avec l’irréparable » qui comprenait des présentations données par des chercheurs et des survivants ou familles de survivants. C’est ces témoignages qui m’ont le plus touché.

Les rescapés expriment souvent l’impossibilité de mettre des mots sur le génocide, sur leur expérience. Mais j’ai trouvé la manière dont ils décrivaient l’horreur très percutante. Chacun avait sa manière d’en parler et je veux retranscrire leurs paroles ici afin de souligner notre responsabilité à faire plus d’efforts afin de prévenir de futur génocide.

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Témoignage 1 – Atanasie

Nous ne savons pas comment décrire la douleur qui nous habite. Il n’ya pas de mot pour décrire le génocide contre les Batutsis. Je porte le cachet. Le mot irréparable c’est une ligne continue qui a été coupé en morceau par morceau de telle manière qu’on ne peut pas reconstruire la corde. Il n’y a pas de service pour réparer ça. Le choc existe, persiste et persistera pour toujours. Au moindre choc je suis à terre. Le mois d’avril me détruit. Si il n’y avait pas le mois d’avril, ce serait mieux.

J’essaie de vivre comme les autres. C’est difficile de me sentir comme l’Atanasie d’avant. En moi il y a deux personnes, l’Atanasie d’avant le génocide qui est forte et l’Atanasie d’après qui est déchirée. J’essaie de vivre avec les deux personnes en moi. Dieu m’a donné la chance de survivre alors je dois essayer de vivre comme les autres

Il faut concilier, le présent, le future et le passé

 

Témoignage 2 (13 ans à l’époque)

Je ne suis pas une rescapée, je vivais en Suisse mais d’une côté je le suis car toute la famille de ma mère est décédée. Moi je n’ai jamais vécu là-bas. Pour moi l’irréparable c’est tous ces gens que j’ai perdu. Je ne devrais même pas utilisé le mot perdre car ils se sont fait exterminer.

J’ai vite appris qu’il y avait Hutu et Tutsi, mauvais et gentils. C’est comme ça que je l’ai vécu en Suisse. Je ne veux pas accepter que j’ai quelque de briser en moi qui ne peux pas être réparer. Je fais partie de la deuxième génération et je veux croire en une réparation. J’aimerais que mes enfants aient quelque chose de plus. On est partagé entre ce que nos parents ont vécu depuis les années 1960 et la nouvelle génération. Je porte les blessures mais j’aimerai pouvoir faire la transition entre son vécu et ce nouveau Rwanda.

Dans la diaspora, on est très divisés. J’ai grandi avec des Tutsis et la division est toujours là. Dans la diaspora on a tendance de mettre les mauvais d’un côté et les bons de l’autre. Je veux aller plus loin faire la réconciliation. Je pense que la réconciliation peut se faire plus à notre génération qu’à la votre. On ne peut pas forcer ma mère à la réconciliation. Surtout que beaucoup ne le regrette pas. C’est personnel. En ce qui me concerne je peux le faire.

 

Témoignage 3 (28 ans à l’époque)

 Pour moi être rescapé c’est le vide, c’est l’absence. Je n’ai pas d’image, pas de photos. C’est irréparable. Tout ce qui me reste c’est un pagne de mon père. Quand avril approche, je le lave, je le repasse et je le range. C’est ça l’irréparable.

L’angoisse est mon compagnon. Je réveille au milieu de la nuit pour voir si mon enfant respire encore. C’est ça l’irréparable

L’irréparable c’est se faire violence chaque jour pour réprimer ce sentiment afin de ne pas s’exposer, de ne pas se mettre à nu, de ne pas pleurer. On ne veut pas sortir ces sentiments. Ça c’est l’irréparable.

Je ne pouvais pas agir. Ça c’est l’irréparable

L’irréparable c’est aussi vivre avec la culpabilité. Coupable de vivre alors que les autres ne vivent plus. Coupable de savoir que la dernière parole qu’on a eu avec son père n’ont pas été les plus tendres. J’aurai voulu trouver quelque chose de plus tendre à lui dire.

C’est aussi entendre dire « comment ça se fait que tu n’as pas été tué en 1994 » ? Comme si, si j’avais été tué, cela aurait arrangé quelqu’un. Entendre cela de la part de Tutsi, ça me donne la force d’avancer. Que vaut la vie après le génocide si elle n’est pas vécue dans l’amitié. J’ai des responsabilités envers ma famille, les survivants

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Témoignage 4 (8 ans à l’époque)

Avril c’est la saison de la tristesse et de la mémoire, une saison de courage.

L’irréparable c’est les odeurs, les scènes, les mots qui reviennent sans préavis sans raisons particulières.

Je me rappelle des bruits de l’avion qui est tombé. Mes parents nous en réveillé, on a cru que c’était un grenade.

Je me rappelle la première fois que le première personne que j’ai vu une personne abattue, une personne violée. La fois ou j’ai vu ma mère au milieu de corps à la recherche du corps de mon père. Je me souviens des mots de ceux qui commettaient ces actes. Ils semblaient en paix dans un monde dans lequel les Tutsis n’existaient pas. Même ceux qui ne participait pas au génocide. C’est ça l’essence du génocide.

L’irréparable c’est ne pas avoir la chance de dire le mot « papa ». Quand on est rescapé on aimerait être comme tout le monde et ça c’est la triste vérité.

On aurait du créer un espace dans lequel on aurait pu parler clairement de ce qu’on a vécu. Quand on parle du génocide en Kinyarwanda c’est comme parler de dossier complexe. Hors pour nous c’est simple à expliquer. On veut simplement énoncer ma vérité comme on l’a vécu. Notre défi c’est de prendre un stylo et d’écrire l’histoire comme on la connait au fin fond de votre cœur. Pour réparez l’irréparable il faut changer notre façon de penser et de parler. Personne ne peut nous prendre notre vérité à moins qu’on ne leur dise.

 

Témoignage 5

L’irréparable c’est définitif. C’est pas comme une fracture que l’on peut souder. J’ai une cicatrice là où la machette m’a blessé. Cette blessure m’accompagne. Quand je la regarde, je replonge là où j’étais ce jour là. Je vivais à Bisero où 800 parmi 60 000 tutsis ont survécu. Mon père a survécu mais aujourd’hui il ne sait pas parler plus de deux minutes.

Quand j’ai revu mon père après avoir été séparé de lui, je ne l’ai pas reconnu.  Quand j’ai vu mon père je me suis promis que j’allais vivre alors qu’avant je ne voulais pas.

On a essayé de se reconstruire. Je portais mon père avec sa misère, sa douleur, son désespoir. Il avait été un homme digne, droit. Maintenant j’étais devenu comme sa mère. Je le portais parfois sur mon dos, je le prenais par la main. Devant lui je me montrais forte. Vivre était notre façon de se venger. Je gardais la tête haute. Mes études c’est ma vengeance. Je vous souhaite la vengeance la plus belle. La vie continue, nous en sommes la preuve. C’est ça le défi : de lever la tête, se tenir debout.

 

Témoignage 6

Ceux qui n’étaient pas au Rwanda en 1994 portent aussi l’irréparable en eux. J’avais des amis rwandais là où je vivais qui chaque jour apprenaient que leurs familles, leurs amis avaient été tué. L’irréparable, c’est la culpabilité que l’on ressent quand on n’a pas de mots pour réconforter les gens. C’était comme un reproche « Toi tes parents vont bien »

Ce que je veux transmettre à mes enfants c’est de ne pas avoir répondu à la haine par la haine mais par la vie et la fierté de ce qu’on est

 

Témoignage 7 (26 ans à l’époque) – Eugène

L’irréparable c’est pétrir ma peine chaque matin avec des larmes qui peinent à couler. C’est aussi l’odeur de la charogne humaine qui envahi mes vêtements.

Le génocide pour moi c’est tous ces moments d’absurdité où on cesse d’être humain. Tout simplement un produit de boucherie

J’ai débattu pendant longtemps si j’avais le droit de vivre parce que tous mes compagnons avaient été éliminés, toute ma famille avait été éliminée. Je pensais que je n’avais pas le droit. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’en refusant de vivre je donnais raisons à on assassin. Je donnais raison à ceux qui ont assassinés ma famille. Il fallait me remettre debout. On doit accepter que la vie continue. Qu’elle ne s’arrête pas juste parce qu’un génocidaire l’a décidé

Le pardon n’est pas un mot qui existe dans mon vocabulaire. Je pardonnerai si on me demandait pardon mais je ne peux pas pardonner dans le vide

Il faut que les Nations Unies changent leur manière de protéger l’humanité si ils se donnent la mission. Si ils interviennent, si ils agissent ou bien tout simplement ils renoncent et on dira « On a laissez le mal triompher »

 

Témoignage 8 (18 ans à l’époque) : Arlette

L’avion est tombé la nuit et le lendemain on est devenu des serpents, des insectes à éliminés. Quand on se lève le matin à la recherche de la prochaine personne à tué on n’est plus humain, on devient un animal. D’habitude une personne meurt et on a de la tristesse, on pleur. Là c’était devenu tellement banal qu’on regardait une personne mourir  et c’était la chose normale. On ne pouvait pas pleurer parce qu’on avait plus le droit. On se disait « c’est moi la prochaine personne qui vais être tuée. »

Ma plus grande crainte c’est comment je raconte ça à mon fils. Comment on lui transmet ça pour qu’il puisse quand même garder la mémoire mais sans lui transmettre la haine.

Selon moi il n’y a pas de réconciliation parce qu’on n’est pas obligé de se réconcilier. Il y a deux communautés qui vivent chacune de leur coin mais il y a une méfiance, une grande, grande méfiance

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